Déclaration de consensus des Sociétés Européennes de Thérapie Génique et Cellulaire sur la naissance annoncée de bébés génétiquement modifiés en Chine

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Société Européenne de Thérapie Génique et Cellulaire (ESGCT), Société Britannique de Thérapie Génique et Cellulaire (BSGCT), Deutsche Gesellschaft für Gentherapie (DG-GT), Société Finlandaise de Thérapie Génique (FSGT), Société Néerlandaise pour la Thérapie Génique et Cellulaire (NVGCT), Société Hellénique de Thérapie Génique et Médecine Régénérative, Sociedad Española de Terapia Génica y Celular (SETGyC), Société Française de Thérapie Cellulaire et Génique (SFTCG).

La thérapie génique somatique a été développée pour traiter les maladies héréditaires ou acquises, pour lesquelles il n'existe actuellement aucun traitement ou seulement des solutions thérapeutiques limitées. Les modifications génétiques sont limitées aux cellules adultes différenciées (cellules somatiques), mais excluent les cellules embryonnaire et germinales afin d’ éviter la transmission de changements génétiques à la descendance. Nos sociétés ont soutenu le développement d'approches innovantes de thérapies géniques ciblant des cellules somatiques et de thérapies cellulaires depuis plus de 25 ans. Bien que nous reconnaissions la nécessité de la recherche fondamentale, nos sociétés conviennent qu’en l’état des connaissances et de l 'expérience actuelles, la modification de gènes dans des cellules embryonnaires ou germinales est irresponsable et éthiquement injustifiable.

Les documents affichés dans le registre des essais cliniques chinois ( Chinese clinical trial registry ) et les articles publiés par divers médias suggèrent que le Dr Jiankui HE (Université du sud de la science et de la technologie, Shenzhen) a utilisé la technologie de la nucléase CRISPR/Cas9 pour modifier le génome d’embryons humains avant réimplantation dans l’utérus maternel. CRISPR/Cas9 est une technologie de pointe en médecine moléculaire à des fins de recherche et a également été développée comme un outil pour la thérapie génique. CRISPR/Cas9 peut être décrit comme des ciseaux moléculaires qui permettent de modifier le génome cellulaire à des sites prédéfinis, dit sites cibles, ouvrant ainsi la possibilité de réparer un défaut génétique. Néanmoins, l'activité non spécifique hors cible, c'est-à-dire la coupe à des sites non prévus dans le génome humain, ne peut pas être totalement exclue. L'activité hors cible peut ainsi engendrer de nouvelles mutations avec des effets inconnus non seulement sur la santé des sujets, mais aussi sur celle de leurs descendances.

Dr. HE  a donné une interview exclusive et a affiché une vidéo sur YouTube décrivant sa recherche, une façon très inhabituelle de présenter des travaux scientifiques. Il a déclaré que des filles jumelles saines sont nées après la modification génique des embryons générés par fécondation in vitro (FIV). Il prétend que dans au moins une des filles jumelles, il a réussi à invalider le gène CCR5, prétendant ainsi protéger  la jeune fille de l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Outre les effets secondaires potentiels et les considérations éthiques importantes  le raisonnement scientifique de son approche est très discutable pour plusieurs raisons: (i) la délétion de  CCR5 rapportée ne peut pas comme prétendu par Dr HE, aboutir à une protection complète contre le VIH, (II) la délétion de CCR5 elle-même pourrait avoir des conséquences fonctionnelles potentiellement graves, comme par exemple la susceptibilité plus élevée déjà établie à des virus autres que le VIH, (III) compte tenu des efforts actuels visant à réduire le taux de nouvelles infections au VIH et à développer un vaccin efficace, mais aussi la possibilité de  se protéger soi-même, le risque réel d’être infecté demeure faible.

À notre connaissance, la déclaration du Dr. HE n'a pas été jusqu'ici confirmée par une source indépendante et scientifiquement reconnue. La recherche n'a pas été examinée par les pairs, mais a été présentée lors du deuxième Sommet international sur l'édition du génome humain, qui se déroule  en ce moment du 27 au 29 novembre 2018 à Hong Kong. Selon le gouvernement Chinois et des représentants  de l'Université de Shenzhen cités dans les médias, le Dr. HE n'avait pas obtenu d'autorisation par les autorités compétentes, y compris du  Comité d’ éthique responsable.

Les thérapies géniques et cellulaires ont un potentiel clinique énorme, et l'édition du génome est en train d'émerger comme un outil prometteur et puissant pour réparer les défauts génétiques. Comme pour tout traitement, cependant, il y a des risques potentiels associés à l'édition de gènes qui nécessitent une recherche avancée entourée de multiples précautions avant que ces nouveaux traitements puissent être utilisés chez les patients. Outre les études d’innocuité  nécessaires, l'application de la modification du génome embryonnaire ou germinal, à notre avis, exige une  discussion sociétale étendue des considérations éthiques. Le 2ème Sommet international sur l'édition du génome humain à partir d'aujourd'hui est l'un des nombreux efforts internationaux pour aboutir à un consensus international. Il y a déjà eu un accord général au 1er Sommet résumé comme suit : «il serait irresponsable de procéder à toute utilisation clinique de l'édition du génome germinal, avant que (i)  les questions pertinentes relatives à l'innocuité et à l'efficacité n’aient été réglées en fonction de la compréhension de l’outil et de la prise en compte de la balance bénéfices/risques, des avantages potentiels et des solutions de rechange, et (II) qu’ il n‘ existe un large consensus sociétal quant à la pertinence de la solution thérapeutique proposée“.

L’ ESGCT et les sociétés européennes nommées ci-dessus soutiennent totalement cette vision et condamnent les expériences du Dr HE en les considérant comme risquées, conçues pour l'amélioration des connaissances sur la manipulation du génome humain plutôt que pour la thérapie, et donc éthiquement inacceptables. Nous reconnaissons la puissance de cette technologie pour le traitement des maladies humaines, mais demandons fermement la prudence jusqu'à ce que la recherche et l'expérience plus poussées de l'édition de gènes, la consultation publique et la législation soient arrivées à un consensus. Les législateurs et le public devraient émettre  leurs opinions sur les circonstances, en vertu desquelles l'utilisation de ces technologies de pointe sera permise.
Bien qu'un certain nombre de thérapies géniques et cellulaires rigoureusement éprouvées commencent à faire réaliser leur potentiel dans la clinique, il est important que les études cliniques continuent à répondre aux normes internationales, pour s'assurer qu'elles soint sûres, et que la recherche soit menée de manière transparente et responsable. L'accélération irresponsable et contraire à l'éthique de l'utilisation de ces techniques dans la clinique avant les débats sociétaux et législatifs est plus susceptible de ralentir que d'accélérer la progression de ces pratiques prometteuses.

 
Pour les Sociétés:
Hildegard Büning (ESGCT), Uta Griesenbach (BSGCT), Boris Fehse (DG-GT), Seppo Ylä-Herttuala (FSGT), Nicholas P. Anagnou (HSGTRM), Victor van Beusechem (NVGCT), Angel Raya (SETGyC), Els Verhoeyen (SFTCG)